Même au bout d'un an, j'ai toujours du mal à le revoir, j'appréhende toujours ce moment où je sors de chez moi pour aller le retrouver. En plus aujourd'hui il pleut. Mais je dois le trouver car je l'aime et il me manque. Malheureusement, on ne choisit ni le lieu ni les circonstances... J'arrive devant lui, une fleur a été déposée sur sa pierre où est inscrit un nom, son nom. "Février 2001-Août 2008" figurait en dessous. La mer avait eu raison de lui alors qu'il l'adorait, je trouve ça injuste et je trouverai toujours cela injuste. Cela me fait penser que j'ai emporté un cadeau pour lui...
"Tiens, fiston, papa a un énorme coquillage qu'il a choisi spécialement pour toi. Joyeux anniversaire... Je t'aime..."
Une larme coule le long de ma joue mais je l'enlève rapidement. Je ne dois pas pleurer, pas aujourd'hui. Je dois être fort.
C'est alors que je me souviens d'une journée à la plage avec lui. C'était peu de temps avant sa... disparition. Nous étions sur le sable tout doux, il était dix heures mais je nous avais trouvé un coin que je savais désert. Un coin à nous, un lieu secret.
Il était là, debout, ses cheveux dans tous les sens à cause du vent qui n'était pas très violent, en tous cas pas assez pour nous mettre du sable dans les yeux. Les siens, couleur châtain clair, brillaient comme à chaque fois que nous venions ici. En effet, venir ici le rendait heureux et j'aimais le rendre heureux. Son bonheur comblait le mien. Je n'oublierai jamais sa petite bouille d'Ange. La mer était trop froide pour s'y baigner alors nous avons seulement trempé les pieds tout en évitant les vaguelettes. Ce jeu-là le faisait beaucoup rire. Son rire me manquerait, tout comme son sourire d'ailleurs.
Après notre duel de rapidité face aux vagues, il se décida à faire un château de sable. Je le regardais, comptant les secondes avant qu'il ne me demande de l'aide. C'est ainsi que nous avons construit le plus beau château du monde. Une famille de crabe aurait pu y habiter.
Dommage, j'ai oublié mon appareil photo mais pas nos sandwichs. Je lui donnais sa part et je mangeais la mienne. Il fit de même tout en contemplant la mer. C'est fou ce qu'il l'adorait. Il en était malade lorsqu'on la polluait, il sentait qu'un jour elle mourrait à cause de l'Homme et cela lui était insupportable. Je suis certain qu'il aurait exercé un métier en rapport avec la mer ou l'écologie. Il avait tout compris, il nous fallait aimer la nature, apprendre à vivre avec et faire en sorte qu'elle nous tolère. En aucun cas il ne fallait tenter de la contrôler, de la maîtriser et d'en faire un produit marketing.
Après notre repas, il insista pour qu'on ramasse des coquillages. Il devait y en avoir pour décorer le château et quelques-uns pour sa collection personnelle. C'étaient, d'après lui, les cadeaux que nous offrait la mer pour nous récompenser d'être gentils avec elle. il prit alors deux sacs. Un pour les déchets que l'on trouverait, l'autre pour les coquillages. Le nettoyage de notre petit bout de paradis était inévitable si on voulait qu'il le reste.
Il m'arrive d'y retourner pour nettoyer et récupérer quelques coquillages. Je me dis que si c'est un bout de paradis, il y est certainement c'est pourquoi je maintiens le lieu propre et j'interdis à quiconque de trouver cela stupide. Cette fois-là était toute particulière par rapport à nos autres fois car il y s'est passé quelque chose de surprenant. Peut-être parce qu'il s'agissait de mon petit garçon de sept ans ou bien parce que c'était vraiment le cas, à vous d'en juger.
Nous avions presque terminé notre collecte lorsqu'il tomba sur un très gros coquillage en spirale. Il avait sans doute abrité un Bernad l'ermite. Je lui dis alors de le coller contre son oreille afin d'entendre les murmures de la mer. Ainsi il pourrait l'écouter tout le temps, même lorsqu'il était à la maison. Il obéissait, fermant les yeux et écoutant ce que lui racontait le coquillage. C'est alors qu'il me regarda, j'ai cru percevoir des larmes dans ses yeux, prêtes à couler. Il me fixait droit dans les yeux et me posa, le plus sérieusement possible, une question que je n'oublierai jamais :
"Dis papa, et lorsqu'il n'y aura plus de mer, lorsqu'elle sera morte, l'entendrons nous encore murmurer dans les coquillages... ?"